Monsieur le Président du
Conseil des arts du Canada,
Monsieur le Représentant du Conseil de recherches en sciences
humaines du Canada,
Monsieur le Directeur général du Musée de la
civilisation,
Chers lauréats du prix Molson,
Chers collègues,
C'est pour moi un grand plaisir de me trouver parmi vous pour clôturer ce séminaire sur les réalisations éminentes des Canadiennes et des Canadiens. Mes premiers mots seront pour féliciter mes collègues Pierre Maranda et Marc-Adélard Tremblay qui ont proposé et organisé ce colloque et pour remercier les récipiendaires du prix Molson qui nous font l'honneur d'être avec nous aujourd'hui.
Au cours des prochaines minutes, j'aimerais partager avec vous quelques réflexions sur les défis que doivent relever les universités dans le contexte de ce début de troisième millénaire.
Nous le savons tous, l'époque que nous vivons est marquée par une phénoménale accélération du développement des connaissances, qui fait sentir ses effets dans presque toutes les sphères de l'activité humaine. Cette accélération des connaissances s'est traduite par la mise à disposition de l'homme de nouveaux outils très puissants.
Pour ne citer que quelques exemples, pensons seulement au développement de l'Internet, qui rend accessible à tous ceux qui sont " branchés " une quantité incroyable d'information, qui permet aux chercheurs des quatre coins du monde d'établir des liens efficaces et de former de véritables réseaux virtuels de recherche, qui ouvre à la PME un accès aux marchés mondiaux à coût minime, qui transcende les frontières des États avec ce que cela comporte de positif (le libre accès à l'information mondiale) mais aussi de négatif (la circulation incontrôlée des idées les plus folles et la difficulté de mettre un frein aux utilisations criminelles de ce médium).
Pensons à la thérapie génique, qui nous ouvre des horizons formidables de traitements de la plupart des maladies, mais qui nous pose en même temps des défis considérables en termes éthiques et sociaux.
Pensons aux nutraceutiques et aux aliments modifiés génétiquement, qui permettraient peut-être de régler le problème de l'alimentation efficace d'une population mondiale en constante croissance, mais qui soulèvent des questions complexes de protection durable de l'environnement.
Ces développements des connaissances et des techniques ont aussi pour conséquence de modifier nos rapports avec nos semblables, avec notre environnement. Ils portent en eux le potentiel de modifier jusqu'à la structure sociale et politique de nos sociétés. Toutes ces découvertes soulèvent ainsi de nouveaux problèmes liés à l'éthique, à la protection de l'environnement, à la qualité et à la sécurité de l'information, à la nécessité de faire évoluer les cadres juridiques nationaux et internationaux, pour ne nommer que ceux-là.
Un autre phénomène lourd est en train de modifier nos vies : la mondialisation de la plupart des facettes de l'activité humaine avec ses effets d'entraînement sur notre organisation sociale. Ainsi, sous l'effet de la mondialisation des échanges et des communications, on constate que l'organisation du travail est en train de subir des mutations majeures : spécialisation des entreprises, développement de la sous-traitance et apparition d'un nouveau modèle d'entreprise - l'entreprise-réseau -, précarisation des emplois, délocalisation du travail vers les pays à moindre coût de main-d'uvre. Tout n'est pas négatif dans ces tendances, mais les défis sont de plus en plus grands si on veut maintenir la nécessaire équité sociale entre citoyens d'un même pays ou de plusieurs pays. Effectivement, on doit déplorer les iniquités dans la participation à la vie économique qu'engendre, dans un premier temps, la mondialisation dans sa forme sauvage incontrôlée. Il nous faut donc inventer de nouvelles formes de régulation des comportements des États, des entreprises et même des individus, à l'échelle de la planète.
La mondialisation des activités humaines porte en elle aussi un grand risque d'effacement des identités culturelles. Je ne pense pas que nous devrions accepter sans autre hésitation une culture mondiale à base de McDonald's, de cinéma hollywoodien et autres " Who wants to be a millionnaire ". La mondialisation devrait au contraire nous donner un environnement extraordinaire pour assurer la promotion de la diversité culturelle et la diffusion des idées et des créations des artistes des quatre coins du monde. Mais ça ne se fera pas tout seul; nous devrons y travailler avec acharnement en luttant contre les effets pernicieux du cocktail économie-culture.
Enfin, devant tous ces changements qui se matérialisent à une vitesse toujours plus grande se pose la question fondamentale de la capacité de l'humain à s'adapter.
Bref, les défis ne manquent pas en ce début de troisième millénaire et, pour les universités qui sont le lieu par excellence de développement du savoir, d'invention de nouvelles techniques, de réflexion sur la société, d'étude et de mise en valeur de la culture, le lieu par excellence aussi de formation des citoyens de demain, ces défis prennent une dimension particulièrement importante.
Parlons d'abord de la recherche universitaire.
La mission des universités est de faire progresser les connaissances, dans tous les domaines du savoir. Cette mission, les universités l'ont accomplie de façon remarquable au cours des siècles depuis la fondation de l'Université de Bologne. Elles ont participé activement, au cours des cinquante dernières années, à l'accélération phénoménale du développement de nos connaissances de l'astrophysique à la zoologie en passant par la biologie, l'économique, l'informatique, la linguistique, la médecine, les sciences des matériaux ou les télécommunications. Elles ont aussi fortement contribué aux développements des applications des nouvelles connaissances dans l'industrie et la société.
Il est maintenant de plus en plus clair que les chercheurs ont le devoir, non seulement d'accroître les connaissances, mais aussi de considérer les conséquences de ces connaissances qu'ils créent et de mener des travaux scientifiques et techniques sur l'exploitation intelligente de ces nouvelles connaissances au service de la société. La tâche ne sera pas facile, dans la mesure où, par exemple, les plus récents développements du côté de la génétique soulèvent des questions éthiques formidables. Ce champ de la réflexion éthique doit, me semble-t-il, devenir une composante importante de la recherche universitaire, comme champ de recherche en soi, et comme constituante de toute action de recherche disciplinaire.
Les universitaires ont aussi l'obligation de mener des recherches dans tous les domaines des sciences sociales pour aider nos sociétés à relever les défis de la mondialisation et de l'adaptation de l'être humain aux changements technologiques. J'ai dégagé tout à l'heure quelques-uns des effets de la mondialisation et du développement technologique sur l'organisation du travail, sur l'accès à l'information, sur le besoin de nouveaux cadres juridiques. Tous ces phénomènes posent des problèmes sociaux complexes qui appellent des recherches fondamentales et appliquées aux différents contextes nationaux.
La question du développement durable sous toutes ses formes exige de la communauté des chercheurs une multiplicité de réflexions et d'actions. Champ d'exercice par excellence de la multi- et de l'interdisciplinarité, la compréhension du développement durable va soulever des défis pour les chercheurs universitaires plus à l'aise dans leurs châteaux forts disciplinaires.
Enfin, c'est beaucoup aux universités qu'on a confié la tâche de mener les recherches sur la mise en valeur et la préservation de la culture, sur le respect et la promotion de la diversité culturelle. Dans le contexte de mondialisation, cette mission acquiert une importance renouvelée en même temps qu'elle dispose de nouveaux et puissants moyens pour s'exercer.
Pour pleinement accomplir leur mission de recherche, les universités se doivent aujourd'hui d'aborder de façon équilibrée les différentes facettes de cette mission. Elles doivent, pour cela, pourvoir compter sur l'appui, lui aussi équilibré, des bailleurs de fonds publics et privés.
Le Canada est particulièrement bien placé pour répondre à ces nouveaux besoins. D'une part, les universités canadiennes entretiennent une forte culture de recherche et leurs chercheurs affichent un dossier d'excellence de niveau mondial dans la plupart des domaines où ils interviennent. Par ailleurs, la situation du Canada au confluent des cultures européennes et américaines lui permet de puiser dans les forces de ces deux civilisations tout en développant un caractère qui lui est propre pour aborder les questions complexes liées à la mondialisation. Enfin, la population canadienne se caractérise par une grande diversité culturelle et, sur ce plan, le Canada a une belle histoire à raconter sur le soutien du multiculturalisme. Bref, le contexte de ce début de troisième millénaire devrait être favorable aux chercheurs canadiens si seulement ils peuvent disposer des moyens de faire valoir leurs talents.
À ce sujet, il faut se réjouir
de l'intérêt renouvelé des gouvernements envers
la recherche. Au palier fédéral, les subventions aux
grands conseils subventionnaires ont été augmentées
substantiellement au cours des trois dernières années
et l'avenir est encore prometteur. Il faut mentionner aussi la création
de la Fondation canadienne pour l'innovation qui, comme le dit la
page d'accueil de son site Web, nous offre "des outils stratégiques
pour l'économie du savoir". Il faut souligner la mise
sur pied des instituts de recherche en santé du Canada dont
la mission est d'améliorer la santé de la population
canadienne. Il faut parler enfin du programme de chaires du Canada
qui vise à appuyer la recherche de pointe et à attirer
et retenir les meilleurs chercheurs dans les universités
canadiennes. Il faut cependant constater que l'exigence d'équilibre
dans l'effort de recherche entre les disciplines technologiques
et les sciences sociales et humaines est loin d'être satisfaite.
Certes, le Conseil de recherches en sciences humaines a vu ses fonds
augmentés substantiellement depuis trois ans, mais il reste
encore largement en retrait du Conseil de recherches en sciences
naturelles et en génie et des nouveaux instituts de recherche
en santé. Il faut espérer que cette situation sera
prochainement corrigée; il en va du sain développement
de notre société. À quoi serviraient en effet
des développements technologiques extraordinaires si nos
concitoyens sont incapables de les maîtriser, si nous ne savons
pas les mettre au service de la société, s'ils créent
plus de laissés-pour-compte que de gagnants?
Au Québec, le nouveau ministère de la Recherche, de la Science et de la Technologie vient de publier un document de consultation sur la politique scientifique dont il souhaite doter le Québec. Ce document est prometteur sous bien des aspects, et il faut espérer que sa version finale fera justice au nécessaire équilibre entre recherche fondamentale et recherche appliquée, tout comme entre recherche sociale et humaine et recherche scientifique et technologique. Pour permettre une meilleure exploitation des résultats de la recherche universitaire au bénéfice du développement économique, le ministère vient aussi de créer la société Valorisation Recherche Québec qui contribuera au financement de la valorisation des résultats de la recherche. Enfin, le nouveau programme de chercheurs FCAR facilitera le recrutement de jeunes professeurs dans des domaines d'intérêt stratégique pour le Québec. Le Québec a une longue tradition de financement de la recherche sociale; j'espère que les mesures à venir viendront renforcer cette tradition et assurer le nécessaire équilibre entre les différents champs de recherche.
Cela dit, tous les pays développés réalisent l'importance de la recherche universitaire et investissent massivement dans ce domaine. Il nous faudra donc faire encore plus pour conserver notre position dans une compétition mondiale féroce si nous voulons garder ici les chercheurs de talent que nous avons et attirer dans les universités canadiennes une relève de grande qualité. À en juger par les sommes que les États-Unis et l'Europe consacrent à des investissements accrus dans les universités, à en juger aussi, malheureusement, par les départs vers d'autres cieux d'excellents chercheurs canadiens depuis quelques années, l'effort requis sera substantiel. Nous sommes nombreux à déployer des efforts auprès des deux paliers de gouvernement pour les convaincre de la nécessité de poursuivre le réinvestissement dans la recherche universitaire et j'espère que ces efforts seront couronnés de succès.
Qu'en est-il maintenant de la mission éducative de l'université ?
Les jeunes d'aujourd'hui doivent être formés aux nouveaux contextes dont j'ai parlé au début de mon exposé. Ils doivent apprendre à apprendre. Ils doivent acquérir une formation plus générale, plus polyvalente, plus flexible. Ils doivent se familiariser avec les nouvelles technologies de l'information et des télécommunications. S'ils veulent travailler utilement à l'échelle internationale, ils doivent se munir d'un bagage culturel et linguistique plus diversifié que celui dont disposaient leurs prédécesseurs. Leur formation doit permettre une ouverture à la multidisciplinarité, aux exigences du développement durable, à l'éthique.
En cette matière, les universités ont bien évidemment un rôle essentiel à jouer. Je voudrais énumérer brièvement les stratégies mises en place à l'Université Laval pour répondre aux nouveaux besoins de la société.
Nous sommes tout d'abord en train de remanier nos programmes pour permettre l'acquisition de compétences hors discipline menant à une formation plus générale. Cette reconfiguration permet d'intégrer au cheminement scolaire entre autres la maîtrise des technologies de l'information. Elle permet surtout de mettre en place des profils internationaux dans la plupart de nos programmes; grâce à ces profils, une proportion croissante de nos diplômés aura profité d'une expérience à l'étranger en cours d'études.
Dans ce monde en perpétuelle transformation, le perfectionnement et la réorientation de carrière prendront de plus en plus d'importance. À l'Université Laval, des programmes de formation continue sur mesure ont connu un grand succès. Je pense entre autres aux programmes de diplôme en gestion et développement des organisations dispensés dans plusieurs régions du Québec. Nous avons l'intention de renforcer nos interventions dans ce domaine; ainsi notre Faculté des sciences et de génie sera le point d'entrée unique pour répondre aux besoins de formation des personnes et des entreprises actives dans la Cité de l'optique qui est en train de s'établir à Québec.
Mais la formation universitaire, ce n'est pas uniquement une formation disciplinaire classique. Ce doit être aussi une formation à la citoyenneté. Dans ce domaine, l'Université Laval joue pleinement son rôle par le biais de différents mécanismes de promotion de la participation étudiante. Des étudiants participent aux décisions du Conseil d'administration, du Conseil universitaire et même du Comité exécutif. La CADEUL, l'association des étudiants de premier cycle, gère de nombreux services aux étudiants, dont le populaire Pub qui est, me dit-on, le deuxième point de vente de la bière Molson au Québec après le Centre Molson.
L'Association des étudiants de deuxième et de troisième cycle, quant à elle, a mis sur pied un programme de conférences ouvertes à la communauté universitaire et à la population, la Chaire publique, qui connaît un grand succès et qui a largement occupé les ondes de la télévision cette année.
Les universités canadiennes sont bien placées pour jouer un rôle plus actif dans la formation, non seulement des jeunes Canadiens, mais des jeunes de tous les pays du monde. Notre réputation de pays pacifique, ouvert à l'immigration et actif dans l'aide internationale, devrait nous aider à bien nous positionner dans le marché mondial de l'enseignement supérieur, où les effets de la mondialisation se font également sentir. Nous avons beaucoup à offrir aux jeunes du monde entier, et en particulier aux jeunes des pays du tiers-monde. Notre appartenance au continent nord-américain, avec une organisation de l'enseignement et de la recherche calquée sur le modèle américain qui est de plus en plus la référence internationale est un atout, tout comme l'est notre lien historique avec la culture européenne. Je le dis souvent dans mes rencontres en Amérique latine, les universités québécoises offrent le meilleur des deux mondes : une formation en français dans un contexte nord-américain. Nous devons apprendre à mieux exploiter cette situation privilégiée. Or, de ce point de vue, il faut bien constater que l'aspect international de l'enseignement supérieur ne fait que commencer à être compris au niveau gouvernemental. Des initiatives porteuses ont cependant vu le jour récemment.
Par exemple, la mise sur pied du Conseil consultatif sur la commercialisation des services d'éducation, qui a pour mandat de donner des conseils éclairés et exhaustifs au ministre du Commerce international sur la commercialisation des services d'éducation. Ensuite, la création, par le Conseil des ministres de l'éducation du Canada, de l'Advisory Committee on On-Line Learning, qui doit proposer aux gouvernements fédéral et provinciaux une stratégie pour le développement de la formation universitaire à distance pour desservir les besoins des Canadiens en premier lieu, mais aussi pour nous ouvrir des marchés internationaux. Les travaux de ces deux comités, auxquels j'ai l'honneur de participer, vont dans la bonne direction, mais nous devons maintenant passer à l'action. Nous avons besoin de plus d'ouverture pour l'accueil d'étudiants étrangers et de plus d'investissements pour réaliser des échanges internationaux. Le Canada consacre en effet 1 $ par habitant en cette matière tandis que les pays de l'OCDE en consacrent 5 $ et plus. L'effort requis est donc considérable, mais il en vaut la peine pour un pays comme le nôtre qui vit de ses relations économiques avec le monde.
Voilà quelques-unes des réflexions que je voulais partager avec vous aujourd'hui.
Dans la nouvelle société du savoir, les universités et les universitaires sont appelés à jouer un rôle prépondérant. C'est une perspective enthousiasmante en soit, mais elle n'est pas sans contrepartie. La liberté qui caractérise de tout temps l'exercice de la mission de l'université risque en effet d'être compromise, non seulement par le manque de ressources dont souffrent les universités depuis quelques années, mais aussi et surtout si nous ne savons bien gérer les attentes des gouvernements et de la société en général. Il nous faut en effet définir les termes d'un nouveau contrat social entre l'université et la société, un contrat qui ne sera pas seulement axé sur la performance, mais qui reconnaîtra aussi l'autonomie, garante de l'objectivité de l'action de l'université et de sa capacité d'adaptation aux besoins changeants de la formation et de la recherche disciplinaire.
Notre défi collectif consistera à trouver le juste équilibre dans toutes nos actions :
- juste équilibre entre la
recherche pure et la recherche appliquée,
- juste équilibre entre la recherche technologique et la
recherche sociale,
- juste équilibre entre la formation générale
et la formation spécialisée,
- juste équilibre entre la mise en valeur de notre culture
et l'ouverture à la diversité,
- juste équilibre, enfin, entre l'utilisation de la technologie
et le maintien des valeurs humaines.
Il s'agit là d'immenses défis, qui doivent soulever les enthousiasmes individuels et collectifs, non seulement à l'intérieur des milieux universitaires, mais aussi dans la société tout entière.
En terminant, je voudrais remercier le Conseil des arts du Canada, le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval qui ont permis la tenue de ce Séminaire Molson.
Je vous remercie de votre attention.