Mesdames,
Messieurs,
Je suis heureux de vous recevoir pour ce troisième colloque organisé par le Centre de coopération interuniversitaire franco-québécois (CCIFQ) dans le cadre du 70e Congrès de l'ACFAS. Nous avions amorcé cette pratique ici même, au congrès de 1998, et je suis heureux de voir s'établir une tradition.
Le thème de votre rencontre "cotutelle et bi diplomation" est des plus pertinents au moment où la Conférence des recteurs et des principaux d'universités du Québec (CREPUQ), le Conseil des présidents d'universités (CPU) et la Conférence des directeurs d'écoles et formations d'ingénieurs (CDEFI) doivent renouveler l'entente France Québec sur la cotutelle de thèse.
Vous me permettrez quelques remarques sur les deux sujets de vos discussions avant d'aborder quelques considérations plus générales sur l'adaptation des universités au phénomène de la mondialisation.
En ce qui concerne notre entente, elle a déjà porté de beaux fruits en impliquant un grand nombre d'étudiants et de chercheurs français et québécois.
Elle favorise une véritable intégration des équipes de recherche et elle est porteuse d'un bel avenir pour la coopération interuniversitaire, en même temps qu'elle offre aux étudiants impliqués une formation enrichie de l'expérience de deux modes d'organisation de la recherche car, si nous parlons tous la même langue, nous avons, au Québec et en France, des cultures de recherche bien différentes.
Nous sommes donc sur la bonne voie et il nous faut maintenir et développer ces pratiques de cotutelles. Nous avons, au niveau des administrations universitaires, l'obligation d'améliorer nos procédures et nos pratiques de gestion pour simplifier la vie des étudiants et pour appuyer l'action des professeurs impliqués. Nous avons tous, par ailleurs, le devoir de travailler au développement du programme en accroissant le nombre d'étudiants impliqués. Je suis sûr que nos travaux nous permettront de progresser sur ces deux aspects de la question.
Pour ce qui est de la bi diplomation, un débat animé est en cours, et ce non seulement entre nous, Français et Québécois, mais de façon beaucoup plus large dans le cadre de toutes les initiatives de formation universitaire impliquant des coopérations internationales. J'ai été amusé par le thème de votre atelier d'hier après-midi ½ + ½ = 2. J'aimerais cependant suggérer une mathématique un peu plus complexe : " ¾ + ¾ = 1.5 ==> 2. "
En effet, dans mon esprit, une cotutelle n'est pas équivalente à ½ tutelle dans chaque pays, mais à plus, ¾ peut être, pour deux raisons : d'une part, je ne connais pas de chercheur qui, travaillant en équipe, ne s'investit pas pleinement dans tout le projet et pas seulement dans la part dont il a la responsabilité directe. L'étudiant bénéficie donc de plus de deux demi-directeurs de thèse.
D'autre part, comme je le soulignerai tout à l'heure, les cultures et les modes d'organisation de la recherche sont sensiblement différents en France et au Québec. L'étudiant-chercheur bénéficie donc d'une formation enrichie.
Pour ces deux raisons, il ne me semble pas déraisonnable d'envisager que l'étudiant impliqué obtienne, en fin d'étude, un diplôme lui aussi enrichi. Reste alors la question technique de la présentation de ce diplôme enrichi : diplôme conjoint ou double diplôme ?
À l'Université Laval nous avons une certaine pratique des diplômes conjoints. Si de tels diplômes reflètent parfaitement la nature de la formation reçue, ils sont complexes à gérer : contraintes de nomenclatures nationales différentes, contraintes pratiques surtout, comme ne manque par de nous le rappeler notre secrétaire général et comme je m'en rends compte chaque année lorsque je dois signer ces diplômes qui ne passent pas dans notre machine à signer.
Aussi, et pour des raisons essentiellement pratiques, l'approche de la bi diplomation me semble préférable, sous réserve que chacun des diplômes fasse expressément référence au fait qu'il s'agit d'une formation en cotutelle qui a donné lieu à deux diplômes. Pour l'étudiant, l'intérêt des deux diplômes est de lui faciliter l'intégration dans deux systèmes économiques, français et québécois, ou plus largement, européen et nord-américain, en utilisant le diplôme connu et accepté par le système considéré.
Mais, là encore, je suis sûr que vos travaux vous permettront de retourner cette question sous toutes ses facettes pour progresser vers un consensus.
Trois questions plus larges
Je voudrais maintenant profiter de l'occasion pour aborder trois questions plus larges reliées aux effets de la mondialisation sur la coopération universitaire. Ces trois questions sont : la formation des regroupements continentaux et son impact sur les coopérations bilatérales; l'écart qui se creuse entre le Nord et le Sud et le rôle de regroupements comme l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l'Association des universités et collèges du Canada (AUCC) ou l'Organisation universitaire interaméricaine (OUI); l'impact possible de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et du GATS sur l'enseignement supérieur.
Pour ce qui est de l'impact des regroupements continentaux, l'expérience de l'Europe montre à quel point cet impact est important dans la vie des universités. Par le biais des programmes de mobilité étudiante et des programmes de financement de la recherche, les réseaux européens sont en train de se structurer et de se développer de façon remarquable pour exploiter des moyens financiers de plus en plus importants.
S'il faut se réjouir de ces développements, il faut en même temps prendre garde à protéger et à bien exploiter les coopérations bilatérales comme celles qui nous réunissent aujourd'hui. Nos gouvernements devront être attentifs à maintenir un équilibre entre les moyens disponibles dans le cadre de coopérations continentales et de coopérations bilatérales intercontinentales et le monde universitaire devant de plus en plus affirmer son caractère d'universalité et d'ouverture. Du côté des universités aussi, des efforts devront être faits pour protéger ce caractère. Le repli sur des blocs continentaux, malgré tout le dynamisme interne de ces blocs, est porteur de risques pour nos sociétés et pour toute l'humanité et il est de notre devoir de rester attentif à la vision mondiale et universelle de la mission universitaire.
Ceci m'amène à partager avec nous une grande préoccupation quant à l'écart, certains diraient au gouffre, qui est en train de se creuser entre les milieux universitaires des pays développés du Nord et ceux des pays en émergence du Sud.
Pour avoir été un participant actif de nos grands regroupements universitaires internationaux, l'AUF, l'Association des universités du Commonwealth (AUC) et la OUI, j'ai pu faire le constat de cet écart grandissant. Écart, bien sûr et surtout, dans les moyens financiers disponibles. Écart dans les capacités de recrutement et de rétention des professeurs et chercheurs, écart dans les qualités des infrastructures. La situation est préoccupante dans tous les pays du Sud mais elle est particulièrement inquiétante sur le continent africain.
Nous, universitaires du Nord, qui sommes privilégiés sur le plan des moyens, nous avons une grande responsabilité dans la mise en uvre de mesures pour réduire cet écart. L'AUF, l'AUC et la OUI ont mis en place des programmes qui visent à aider nos partenaires du Sud mais leurs moyens sont bien limités par rapport à l'ampleur de la tâche. Il faut espérer que le prochain Sommet du G-8 viendra ajouter des mesures concrètes d'aide au développement de l'Afrique. Mais en ce qui nous concerne, nous devrions nous investir plus dans le développement de coopération Nord-Sud, pas seulement en formant au plus haut niveau des étudiants du Sud, mais aussi et surtout en les accompagnant dans leur retour dans leur pays d'origine, en les aidant à s'établir comme professeur et chercheur, en les intégrant dans des réseaux internationaux de recherche et, surtout en faisant les démarches nécessaires auprès de nos gouvernements et des organismes internationaux comme la Banque mondiale et les banques régionales de développement pour qu'ils appuient financièrement ces actions.
Enfin, nous avons le devoir d'agir de manière responsable dans le recrutement de notre corps professoral pour ne pas nous-même contribuer à un exode des cerveaux du Sud vers le Nord. À ce sujet, j'attire votre attention sur la table ronde, organisée par l'AUF et l'ACFAS, qui se tiendra ce soir à 17 h 30, sur la question de la fuite des cerveaux du Sud vers le Nord.
Pour conclure sur cette question, il me semble que l'avenir de la planète dépend d'un meilleur équilibre Nord-Sud. Une éducation et un enseignement supérieur de qualité dans les pays du Sud sont des ingrédients essentiels à la recherche de ce meilleur équilibre. Nous avons le devoir d'y contribuer.
Enfin, je voudrais vous dire un mot de mes préoccupations quant au phénomène général de la mondialisation et aux instances internationales qui en découlent.
Une préoccupation générale, tout d'abord, qui vient d'un double constat. D'une part, la plupart des universités sont activement engagées dans l'ouverture internationale de leurs activités de formation et de recherche, dans la mondialisation de leur vision et de leur action. D'autre part, les milieux universitaires, étudiants surtout, mais professeurs aussi, fournissent la majeure partie des troupes des mouvements d'opposition à la mondialisation. Est-il besoin de rappeler que notre campus a accueilli au printemps dernier la plupart des groupes d'étudiants qui ont manifesté lors du Sommet des Amériques ? Certes la mondialisation des universités n'est pas de même nature que la mondialisation des économies, mais il me semble justement que nous avons besoin de débattre plus ouvertement de ces questions, si nous ne voulons pas nous retrouver prochainement confrontés à des contradictions internes douloureuses.
Une préoccupation spécifique ensuite sur la situation de l'enseignement supérieur dans le contexte des négociations de l'OMC et du GATS. Il y a, dans les milieux universitaires, un large consensus sur le fait que l'éducation et l'enseignement supérieur sont des services publics et qu'ils devraient donc être exclus des négociations du GATS. La déclaration commune de l'AUCC, de l'American Council on Education (ACE) et de l'Association européenne de l'université (AEU), sur la question constitue sans aucun doute une excellente base d'analyse et d'interactions avec les autorités gouvernementales et l'OMC. Ceci dit, il faut réaliser que le développement de certaines activités universitaires nous expose à être aspirés dans ces discussions, malgré nous. En effet, nos activités de formation à distance sur Internet, l'offre de programmes autofinancés par les frais de scolarité, par exemple au niveau du MBA, la mise sur pied de campus à l'étranger, la conclusion de partenariats avec des entreprises privées, l'octroi de licences à des universités privées rendent les universités plus impliquées dans le domaine du commerce international des services. Si vous ajoutez à cela les règles générales du GATS sur le traitement de la nation la plus favorisée, il n'est pas clair que nous soyons vraiment à l'abri de ces négociations.
Or, nous ne nous sommes pas vraiment appropriés ces questions. Il me semble urgent que les universités amorcent localement, et surtout collectivement, la réflexion et le débat. La déclaration conjointe de l'AUCC, de l'ACE et de l'AEU devrait nous servir de point de départ et elle ne devrait surtout pas être considérée comme notre dernier mot en la matière.
Voilà donc les quelques réflexions que je voulais partager avec vous.
Je suis sûr que nos débats d'hier et d'aujourd'hui nous permettront de renforcer la coopération interuniversitaire France Québec dans le domaine des cotutelles et j'espère qu'ils ouvriront les voies à d'autres réflexions sur le développement de l'enseignement supérieur.