entete Université Laval

ALLOCUTION PRONONCÉE PAR MONSIEUR FRANÇOIS TAVENAS, RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ LAVAL, À L'OUVERTURE DU 16e CONGRÈS DE L'ASSOCIATION CANADIENNE DE L'ÉDUCATION
À DISTANCE, LE JEUDI 4 MAI 2000,
À L'HÔTEL LOEWS LE CONCORDE, QUÉBEC

Madame la Présidente de l'ACÉD,
Monsieur le Président du Congrès,
Cher collègues,
Mesdames, Messieurs,

Je suis ravi de me trouver parmi vous ce matin pour vous adresser ces quelques mots à l'ouverture de ce 16e congrès de l'ACÉD. Le chiffre 16 peut inciter à croire que l'enseignement à distance possède déjà un passé respectable, mais je crois qu'il faut parler d'un mode d'éducation qui est encore jeune et en croissance, d'une formule pédagogique dont le potentiel n'a pas encore été exploité à sa pleine mesure.

Mes premiers mots seront pour féliciter l'ACÉD pour la pertinence du thème de cette rencontre " l'apprenant au cœur des TIC : est-ce possible ? " et sur l'objectif de mettre l'accent sur l'apprenant plutôt que sur la technologie.

Il s'est dit et écrit beaucoup de choses sur les vertus de l'enseignement à distance depuis l'arrivée des TIC. Il y a quelques années, par exemple, un enthousiasme débridé envers cette nouvelle manière de transmettre les connaissances faisait disparaître les cours en classe et demain les campus physiques. Or, cette transformation radicale ne s'est pas concrétisée jusqu'ici. Pourquoi?

Lorsque je m'étais adressé aux participants au Forum CATIA, notre lieu de réflexion sur l'intégration des technologies en enseignement, en 1998, j'avais fait un survol des initiatives en cours de développement aux États-Unis dans la foulée de l'étude de Dolence et Norris au titre évocateur : "Transforming Higher Education : A Vision for Learning in the Twenty-First Century". Selon cette étude, la croissance exponentielle des besoins de formation continue, du fait de l'accélération du développement des connaissances et de l'avènement de la société du savoir, rendait inévitable l'introduction massive des TIC pour répondre à ces besoins de façon pratique et économique. Je soulignais alors le développement accéléré d'initiatives américaines telles que la Western Governors Initiative, la California Virtual University ou la University of Phoenix. Il s'est effectivement investi beaucoup d'argent dans plusieurs projets d'universités virtuelles depuis cinq ans, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Où en sont ces initiatives aujourd'hui? Force est de constater que les succès n'ont pas été tout à fait à la hauteur des attentes. La California Virtual University aurait suspendu ses activités, avec des pertes financières substantielles, la Western Governors Initiative connaît des difficultés majeures, les étudiants n'ayant pas répondu aux attentes en nombre d'inscriptions. La University of Phoenix va plutôt bien et continue de faire des profits… mais c'est plus par ses activités traditionnelles en présentiel que par ses programmes d'université virtuelle.

Nos expériences canadiennes semblent quant à elles aller plutôt bien, peut-être à cause des caractéristiques géographiques et démographiques de notre pays. Mais il me semble que les projets d'université virtuelle qui marchent le mieux sont ceux qui visent des formations dans des créneaux bien ciblés visant une clientèle des formations, des professionnels en exercice. Sur la base de ces expériences, il faut bien conclure à ce moment-ci que l'université virtuelle complète n'est pas pour demain et que les TIC ne sont pas près de transformer les campus en villes fantômes! Les TIC sont cependant, à n'en pas douter, en train de transformer et d'enrichir considérablement nos pratiques de formation à distance.

Ce résultat n'est pas totalement surprenant dans la mesure où la formation universitaire ne se résume pas à l'acquisition d'un certain volume de savoir qu'on peut puiser à une source, aussi performante soit-elle. La formation universitaire implique en effet, au-delà de l'acquisition de connaissances, le développement de compétences personnelles comme l'esprit d'analyse, la capacité critique, le jugement, l'esprit de synthèse, le travail d'équipe et la capacité de communiquer qui supposent nécessairement une interaction étroite entre les étudiants et les professeurs, et entre les étudiants eux-mêmes. La vraie question à se poser est donc, non pas comment remplacer l'enseignement traditionnel par l'enseignement virtuel fondé sur les TIC, mais bien plutôt comment exploiter le plus efficacement possible les TIC pour compléter et enrichir cet enseignement traditionnel. Or, de ce côté-là, les expériences sont très positives et vraiment encourageantes, et elles pourraient même déboucher, à l'occasion, sur des éléments d'université virtuelle, tout particulièrement dans le cadre de programmes de formation continue.

À l'Université Laval, l'un des vecteurs du développement de la formation continue a été l'enseignement à distance. Sur 70 000 crédits-étudiants par année, 40 000 sont dispensés à distance, dont 20 000 pour le seul programme de certificat en planification financière personnelle. Il est indéniable que ces programmes bénéficient de l'apport des technologies, surtout par le biais de l'Internet.

Au cours des trois prochains jours, vous ferez le point sur un certain nombre de défis que soulève l'enseignement à distance lorsqu'on place le destinataire, l'apprenant, au cœur du processus.

Vous vous pencherez d'abord sur la qualité du contenu pédagogique. Le principe fondamental à garder à l'esprit devrait être que la qualité des cours offerts à distance doit équivaloir celle des cours traditionnels. Il ne peut pas s'agir de formation à rabais. Vous traiterez donc du processus de conception des cours et des compétences que doivent acquérir les formateurs tant pour bâtir leurs activités pédagogiques que pour accompagner l'apprenant dans sa démarche de formation. Les besoins de recherche dans ce domaine sont considérables, les moyens disponibles, malheureusement bien insuffisants. Le partage des expériences dans des rencontres comme celle d'aujourd'hui prend d'autant plus d'importance.

Vous examinerez ensuite une composante cruciale de l'enseignement à distance, celle qui prête souvent flanc aux critiques, l'interaction du professeur avec l'étudiant et des étudiants entre eux. Maintenir la motivation à distance, briser l'isolement, réintroduire au besoin un rapport présentiel, voilà autant d'enjeux dont il faut tenir compte pour réduire le taux élevé d'abandon qu'on constate trop souvent dans le secteur de l'enseignement à distance. Il est certain que les TIC nous offrent là de nouveaux moyens très puissants, mais qu'il nous faut apprendre à exploiter de façon efficace et surtout efficiente.

Vous aborderez également un aspect tout aussi important que les deux premiers, l'évaluation des cours ou des ressources éducatives en ligne. Comment évaluer un cours qui a été structuré pour y insérer des aspects de multimédia? Quels outils de mesure peuvent rendre compte d'un critère aussi abstrait que la "qualité de l'interaction" entre l'étudiant et le professeur? Les étudiants apprennent-ils vraiment lorsqu'ils sont exposés à ces nouvelles méthodes pédagogiques?

Comme l'intégration de la technologie à l'université est une réalité de plus en plus courante, il nous faut concevoir des processus clairs sur la façon d'évaluer ce nouveau matériel didactique pour deux raisons. Premièrement, cela va de soi, il faut savoir si l'apprentissage se trouve amélioré par l'usage des nouvelles technologies. Deuxièmement, l'évaluation est nécessaire pour que les efforts des professeurs puissent être reconnus dans l'avancement de leur carrière. Nous n'avons pas le choix. Sans cet élément de motivation, comment inciter plus d'enseignants à consacrer du temps à modifier leurs cours et à innover sur le plan pédagogique?

Les TIC nous amènent à repenser nos méthodes pédagogiques en fonction non plus de l'enseignement par les professeurs, mais de l'apprentissage par les étudiants. C'est là, sans aucun doute, le changement le plus important et le défi le plus grand pour tous les professeurs. Changement le plus important pour les étudiants dans la mesure où l'efficacité de la formation est améliorée par une présentation dynamique des contenus; dans la mesure aussi où ces nouvelles approches pédagogiques permettent à l'étudiant de travailler à son rythme, de mesurer sa progression en continu, de revenir au besoin sur la matière, bref d'apprendre dans une approche active plutôt que de recevoir une formation dans une approche passive. Changement pour le mieux dans le cas de la formation à distance où les TIC permettent une interaction rapide entre l'étudiant et le professeur et le développement d'une dynamique de groupe entre les étudiants.

Mais défi d'autant plus grand pour les professeurs que le cadre de réflexion méthodologique qu'un tel changement implique est encore bien frêle. Il faudra mener des recherches fondamentales sur le processus d'apprentissage dans un environnement technologique. Nous avons encore peu de modèles théoriques pour soutenir les interventions. Des recherches appliquées devront aussi être menées sur l'apport concret des TIC à la formation des étudiants et au travail du professeur. La recherche évaluative sur la valeur pédagogique du matériel multimédia est la clé du succès de tout projet d'innovation pédagogique faisant appel aux nouvelles technologies. Des travaux de recherche seront aussi nécessaires sur la reconnaissance des acquis que l'étudiant a obtenus selon plusieurs modes, dont l'enseignement à distance. D'autres aspects mériteront aussi l'attention des chercheurs, telle la propriété intellectuelle. Inutile de dire qu'en matière de recherche, il est important de faire appel à l'expertise d'un large éventail de disciplines, notamment les sciences de l'éducation, les sciences sociales, les sciences de la gestion.

Tout cela demande des ressources. La recherche sur les processus d'apprentissage demande des ressources. Le soutien à la conception pédagogique demande des ressources. La recherche évaluative demande des ressources. J'espère vivement que nous pourrons prochainement compter sur un soutien financier plus substantiel des gouvernements. Voilà en effet, sans aucun doute, l'une des grandes contradictions de nos sociétés que d'insister sur la nécessité d'améliorer l'efficience de nos systèmes scolaires et universitaires et de persister à ne pas investir suffisamment en R & D dans le domaine. Je ne désespère pas cependant d'arriver à faire changer cette situation et, de fait, nous avons fait accepter par le Sommet du Québec et de la jeunesse le principe de la mise en place d'un programme de recherche sur la réussite scolaire à tous les ordres d'enseignement, programme qui devrait bien déboucher sur un véritable effort de R & D en pédagogie.

Par ailleurs, le MEQ devrait bientôt faire connaître ses orientations et engagements en matière de formation continue. Il faut espérer que l'enseignement à distance aura une place appropriée dans la nouvelle politique, car je crois que cet outil de propagation du savoir est appelé à une plus forte demande.

Plusieurs facteurs m'incitent à penser qu'il en sera ainsi, et que ce mode d'enseignement passera de son rôle de système de rattrapage à un rôle de premier plan comme méthode d'acquisition de connaissances et de compétences.

En premier lieu, dans une société de la connaissance, il faut apprendre toute sa vie. L'enseignement à distance offre aux entreprises, organismes et groupes de personnes la possibilité d'une mise à jour des connaissances et habiletés. Nous voyons déjà, d'ailleurs, une augmentation de la demande de formation de la part de publics sans cesse plus nombreux. Dans un monde où le travail est appelé à se transformer constamment et rapidement, la formation à distance fournit des solutions intéressantes pour répondre à des besoins de formation "juste à temps" tels que ceux du médecin en région éloignée, de l'ingénieur opérant dans une PME, du coopérant international, pour ne citer que quelques exemples.

Deuxièmement, l'enseignement à distance pourrait bien être choisi par un nombre croissant de jeunes pour qui la qualité de vie est primordiale. En ce sens, il permet une grande flexibilité et la possibilité de combiner études, travail et vie personnelle.

Enfin, l'enseignement à distance est le moyen privilégié pour une personne en région éloignée d'obtenir une formation de basse complémentaire nécessaire au développement d'une carrière professionnelle fructueuse.

Pour toutes ces raisons, il nous incombe de réfléchir à la manière dont la formation à distance peut compléter et prolonger l'apport des systèmes traditionnels. Dans la nouvelle économie de savoir, ce mode d'apprentissage offre un potentiel inouï. À nous de veiller à ce qu'il bénéficie au principal destinataire, l'apprenant, de manière efficace et efficiente.

Votre congrès vous permettra, j'en suis certain, de faire progresser la réflexion sur ces questions. J'espère qu'il vous permettra également d'élargir vos réseaux de connaissances et de collaboration. J'espère enfin que vous trouverez le temps de profiter de notre campus sous le soleil et des charmes de la belle ville de Québec.

Bon congrès et bon séjour parmi nous.

 
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