Mesdames,
Messieurs,
Les relations entre les universités et le gouvernement ont fait l'objet de bien des débats au Québec depuis quelques années. Dans le contexte de l'élaboration d'une politique des universités dont le ministre de l'Éducation, M. François Legault, fait l'une de ses priorités, il importe de bien comprendre l'évolution du système universitaire québécois depuis la Révolution tranquille et le contexte national et international d'aujourd'hui si nous voulons que le débat se développe d'une façon constructive et conduise à un contrat social renouvelé entre la société québécoise et ses universités.
Pour apprécier la nature des liens qui existent aujourd'hui entre les universités et le gouvernement du Québec, il faut d'abord réaliser que l'université québécoise est résolument de tradition nord-américaine et qu'en cela, elle a comme assises principales la liberté académique, l'autonomie de gestion et l'imputabilité a posteriori. Ces caractéristiques essentielles de l'université québécoise ont contribué à fonder la nature du contrat social implicite qui s'est établi, au fil des ans, entre l'État et l'université au Québec.
Tous les gouvernements qui se sont succédés au cours des trente dernières années ont respecté les fondements de ce contrat, en même temps qu'ils ont contribué à son édification. Celle-ci s'est faite en réponse aux exigences et aux contraintes des diverses époques, mais aussi en fonction de la vision que les leaders, politiques et universitaires, avaient de la direction que le système universitaire devait emprunter pour répondre aux besoins de la société québécoise et participer à son évolution et à son développement.
C'est ainsi que se sont mis en place, au cours des années, un ensemble de lois, règles, procédures et pratiques, dont on peut dire qu'ils constituent en quelque sorte l'économie du système universitaire québécois, laquelle, il faut le reconnaître, a permis l'atteinte d'excellents résultats.
À preuve, le spectaculaire développement qu'a connu l'université québécoise au cours des trente dernières années au plan de l'accessibilité et de la proportion de jeunes qui obtiennent un diplôme universitaire, ou encore de l'évolution phénoménale de la recherche et des études doctorales ou, plus récemment, du développement important des activités de transfert technologique et des créations d'entreprises issues de la recherche universitaire.
Il faut donc d'abord rendre hommage aux dirigeants successifs, gouvernementaux et universitaires, dont la vision et le pragmatisme ont permis l'atteinte de pareils résultats.
Vision avec la création, au tournant des années 1970, du réseau de l'Université du Québec pour rendre disponibles en région des programmes de formation en administration, en éducation, et progressivement dans d'autres disciplines qui n'étaient jusque-là accessibles que dans les grands centres de Montréal, Québec et Sherbrooke.
Vision encore avec la création des Fonds FCAR et FRSQ et de leurs programmes axés sur le développement d'équipes et de centres de recherche. Les universités ont su profiter de ces programmes pour développer des masses critiques d'expertise dans de très nombreux domaines de l'activité scientifique et faire que les chercheurs québécois obtiennent aujourd'hui 28 % des fonds distribués par les conseils subventionnaires canadiens, performance remarquable si on considère que notre part démographique ou économique se situerait plutôt entre 22 et 25 %.
Pragmatisme avec la mise en place d'une formule de financement de type historique, basée sur des coûts par étudiant variant selon les disciplines et les cycles, et qui respecte l'autonomie des universités et leur fournit la latitude pour développer des stratégies institutionnelles efficaces. Au fil des années, le gouvernement a effectivement guidé de façon indirecte, mais non moins efficace, le développement du système par le biais de la formule de financement : ajustements successifs du taux de financement des clientèles dans certains secteurs prioritaires, introduction de primes à la diplomation, introduction des frais indirects de la recherche subventionnée. Tous ces ajustements ont induit des réactions des universités dans le sens souhaité par le gouvernement : accroissement de l'accessibilité, développement de programmes pour répondre à des besoins spécifiques, préoccupation pour l'encadrement des étudiants, développement de la recherche subventionnée.
En parallèle avec ce système de guidage, s'est mis en place tout un appareil de contrôle de qualité et de reddition de comptes.
Contrôle de qualité des projets de nouveaux programmes avec un partage efficace des tâches, dans le respect des prérogatives de chacun, entre les universités et le MEQ, par la Commission d'évaluation des projets de programmes (CEP) de la CREPUQ, qui évalue la qualité académique des nouveaux programmes, et par le Comité des programmes du MEQ, qui en vérifie l'opportunité, notamment en termes de pertinence sociale et économique.
Contrôle de qualité des programmes existants par la Commission de vérification de l'évaluation des programmes (CVEP) de la CREPUQ, qui vérifie les politiques et les processus d'évaluation mis en place par chaque université et dont l'action, depuis 1992, a conduit à une amélioration substantielle de ces processus.
Examen de la pertinence et de la complémentarité des programmes, d'abord par le mécanisme des Études sectorielles du Conseil des Universités, et, depuis 1997, par la Commission des universités sur les programmes (CUP), qui est en train de dresser un tableau exhaustif de l'ensemble des programmes universitaires et d'en examiner la performance, la pertinence et la complémentarité, secteur disciplinaire par secteur disciplinaire.
Reddition de comptes par la mise sur pied de systèmes d'information gérés conjointement par la CREPUQ et le MEQ : sur les admissions (ADM), sur les inscriptions (RECU), sur les informations financières (SIFU), sur la recherche, (SIRU), sur les espaces (SILUQ), sur les personnels (SYSPER).
Reddition de comptes encore avec la Loi 95, qui amène les universités à faire rapport directement à l'Assemblée nationale suivant un mécanisme, qui a déjà été amélioré et qui pourrait l'être encore, pour enrichir le dialogue entre les parlementaires et les dirigeants universitaires.
Quand on considère aujourd'hui la situation, on pourrait dire que nous avons construit un modèle de relation gouvernement-universités avec:
Ce modèle se situe tout à fait dans la logique des principes énoncés par la Conférence de l'UNESCO sur l'enseignement supérieur (Paris, 1998), et a suscité l'intérêt de plusieurs de nos collègues, ontariens, belges, allemands et sud-américains, pour n'en citer que quelques-uns.
En dépit de ses succès et de sa performance, le système universitaire québécois est néanmoins soumis, depuis quelques années, à certaines critiques qui ont pu porter atteinte à sa réputation, mais qui ont surtout eu un impact négatif sur l'enthousiasme des communautés universitaires au moment même où elles étaient appelées à relever des défis exigeants pour maintenir leur position sur la scène nationale et internationale en même temps qu'elles faisaient face à des réductions de ressources sans précédent. Il me semble important de rétablir certains fait; nous serions, paraît-il :
Il nous semble important, dans le débat qui s'amorce, que nous fassions collectivement le bon diagnostique de la situation du système universitaire, si nous voulons établir des bases saines pour son développement. Il importe en effet de réaliser que le Québec a, plus que jamais, besoin d'un système universitaire compétitif si l'on veut que notre société et notre économie puissent s'affirmer sur la scène nord-américaine, tout comme sur la scène mondiale, dans cette économie du savoir de plus en plus prédominante.
Le ministre Legault nous a conviés à un important exercice de reformulation du "contrat social" entre les universités, le gouvernement et la société. Exercice composé d'une Politique des universités, d'un Plan de réinvestissement et d'une Politique de financement à moyen terme. Les universités québécoises ont répondu avec enthousiasme à son invitation, convaincues qu'elles sont de la nécessité d'une telle réflexion et d'un réinvestissement rapide et important dans l'enseignement supérieur.
Quels principes devraient guider cette réflexion? Je vais vous faire part ici de certaines vues personnelles qui sont cependant, je le pense, partagées par beaucoup de mes collègues.
1. Il faut conserver ce qui a été à la base du succès du système universitaire depuis 1965, soit l'action du gouvernement qui fixe les grands objectifs et qui intervient dans le respect de l'autonomie institutionnelle.
2. Il faut assurer aux universités la capacité de planifier leur développement et d'adapter leurs stratégies à leur environnement régional, national et international. Ceci passe par une formule de financement simple, transparente et stable.
3. Il faut continuer d'opérer un système de reddition de comptes efficace tout en évitant l'uniformisation du réseau. Ceci passe par la définition, par chaque université, de sa mission et de ses objectifs spécifiques en réponse aux besoins et aux attentes de la société et en considération du contexte universitaire international, et par la mise en place de moyens de vérification de l'atteinte de ces objectifs.
4. En contrepartie, le gouvernement doit énoncer clairement ses objectifs et s'engager à assurer un niveau de financement et des engagements pluriannuels propres à en garantir la réalisation.
5. Bref, il faut poursuivre le dialogue effectif et efficace avec le ministre de l'Éducation et, plus largement, avec la société, autour des grands objectifs d'accessibilité, de qualité, de compétitivité internationale, en respectant l'autonomie institutionnelle quant à la manière de les atteindre, et en mesurant leur atteinte en faisant un meilleur usage des mécanismes de reddition de comptes qui sont déjà en place et qui ont fait leur preuve.
Je conclurai en notant que, même si à maints égards le système québécois est considéré comme un modèle par plusieurs instances universitaires et gouvernementales du Canada et de l'étranger, il peut être encore amélioré; pas remplacé, mais amélioré; pas réinventé, mais amélioré.
De ce point de vue, nous avons aussi à prendre et à exploiter des idées venant d'ailleurs, et par exemple :
Je suis confiant que la réflexion lancée par le ministre Legault devrait nous mener sur des pistes prometteuses. Il nous restera alors, et surtout, à nous attaquer résolument à ce qui est le vrai mal universitaire québécois d'aujourd'hui : le sous- financement qui fait que nous avons :
C'est, je l'espère, autour de cet objectif de réinvestissement et de rétablissement de la capacité concurrentielle des universités québécoises que tous, étudiants, professeurs, administrateurs, mais aussi partenaires privés et publics, pourront se mobiliser d'ici le prochain budget du gouvernement du Québec pour convaincre la population québécoise et les décideurs publics du rôle primordial que jouent les universités dans une société développée comme le Québec, et de la nécessité de les doter des ressources qui leur permettent d'atteindre une position concurrentielle sur la scène canadienne et internationale. Celle-ci est en retour essentielle au maintien de la capacité concurrentielle de notre économie sur la scène internationale et, partant, garante de l'avenir de la société québécoise.
Je vous remercie