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Discours de remerciements de M. Kenneth McRoberts, politologue et principal du Collège universitaire Glendon de l'Université York, à la réception d'un doctorat en sciences politiques honoris causa de l'Université Laval, le 30 septembre 2004

M. le Recteur,
M. le Secrétaire général,
M. le Ministre Dion,
M. le Ministre Pelletier,
M. le Professeur Lemieux,
Mesdames et Messieurs,

C'est avec humilité que j'accepte ce doctorat honorifique. Il est vrai que ma carrière universitaire a suivi le chemin tracé par ma passion pour la dualité canadienne et pour les rapports entre le Québec reste du pays. On pourrait même parler d' " obsession " pour décrire l'intensité et la constance de ma persévérance envers ce qui demeure toujours le centre d'intérêt de mon activité professionnelle.

Comment expliquer un tel état d'esprit-plutôt inhabituel, il faut bien l'admettre ? Peut-être est-ce dû au fait de ma naissance en Colombie-Britannique et de ma totale ignorance du fait français au Canada pendant toute mon enfance. Comme si cela ne suffisait pas, j'ai émigré en Californie en 1960. Là-bas, à cette époque, on se trouvait complètement isolé du fait français canadien et du Canada dans son ensemble. Voilà pourquoi j'ai décidé de poursuivre des études supérieures en relations internationales à l'Université de Chicago avec des professeurs comme Hans Morgenthau.

Mais ma carrière pris un tout autre tournant. Comme cela se produit souvent pour la plupart des grandes décisions de la vie, l'élément de chance joua ici un rôle déterminant. À l'époque, se trouvait à l'Université de Chicago un politicologue canadien, David Easton, qui était conseilleur de recherche auprès de la commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, la Commission Laurendeau-Dunton. Grâce à lui, j'ai pu passer plusieurs mois à Ottawa en tant qu'assistant de recherche pour la Commission.

Au milieu des années 60, il faut bien l'admettre, Ottawa présentait bien peu d'attraits. La Commission cependant, tout comme la politique canadienne, était tout le contraire. Le Canada que je retrouvais avait beaucoup changé depuis mon départ quelques années auparavant. Tout le pays était engagé dans un débat passionnant sur son avenir. Observer et même participer à ce débat fut un des moments profondément marquants de ma vie. Je redécouvrais mon pays avec des yeux neufs, et j'étais fasciné par le spectacle qui s'offrait à eux.

En fait, les années 60 ont été une période marquante pour tous les Canadiens. Pour la toute première fois, les deux grandes communautés linguistiques qui composaient le pays s'affrontaient, non pas dans une lutte, comme ce fut le cas durant les crises de conscription, mais dans un effort difficile de se comprendre.

L'éveil du Canada anglais s'était échelonné sur plusieurs décennies. Un nationalisme canadien s'était d'abord esquissé pendant les deux guerres mondiales et avait pris corps dans les années 40 et 50 à travers l'effort systématique de construction nationale de l'État canadien. Dans les années 60, après avoir accepté l'idée d'une nation canadienne, les Canadiens anglais découvraient tout à coup que la situation était un peu plus compliquée. Comme le disait Lester Pearson, il y avait une nation au sein de la nation. Plus encore, cette nation intérieure était elle-même engagée dans une démarche de prise de conscience, évoluant du Canada français vers le Québec, et ses intellectuels et chefs politiques arguaient que tout le système canadien devait être refondu en conséquence.

Les années 60 ont vu une suite sans fin de colloques et de conférences sur l'avenir du Canada. On se demandait même souvent si le Canada pouvait survivre. Ce qui rendait le débat si passionnant étaient que toutes les questions soulevées et les catégories offertes semblaient nouvelles. On a même cru qu'on allait trouver des réponses et des solutions durables.

À bien des égards, la Commission Laurendeau-Dunton fut un des plus importants catalyseurs dans ce débat. Elle était conduite par un groupe respecté de Canadiens, guidés par le grand intellectuel que fut André Laurendeau. Elle a lancé un programme de recherche ambitieux, le plus ambitieux jamais entrepris par une commission royale canadienne. Elle a mobilisé les intellectuels les plus en vue de l'époque. Bien sûr, au cœur même de la tourmente se trouvaient les membres du Département de science politique que nous honorons aujourd'hui. Léon Dion était conseiller spécial à la recherche. Louis Balthazar, Gérard Bergeron et Vincent Lemieux ont rédigé des rapports de recherche.

À mon sens, les fameuses Pages Bleues, rédigées par André Laurendreau, au cours desquelles la Commission interprète son mandat, constituent l'un des grands énoncés de principe sur la nature du Canada. J'irais même jusqu'à affirmer que rien n'a été écrit depuis qui ait eu une force supérieure à cette vision d'un Canada composé de deux grandes communautés, possédant chacune sa culture, et délimitées non pas sur une base ethnique ou même raciale, mais langagière. Deux " sociétés d'accueil " invitant l'immigration et prêtes à évoluer en conséquence. Cette vision biculturelle n'était pas sans avoir ses faiblesses, la plus évidente étant son ignorance des réalités des peuples autochtones. Quoi qu'il en soit, elle mettait à l'avant-plan une réalité sociale sous-jacente qui continue encore de nos jours à structurer la société canadienne, et que le leadership canadien et les institutions du pays cherchent toujours à appréhender.

Évidemment, le Canada des années 60 est chose du passé depuis longtemps. La question nationale ne fait plus l'objet de débats passionnés. Aujourd'hui, peu de gens croient encore que l'on pourra un jour la résoudre définitivement. Des quantités incroyables d'énergie ont été dépensées pour deux référendums, une réforme constitutionnelle et les échecs monumentaux que furent les accords du Lac Meech et de Charlottetown. La majorité des leaders politiques et des intellectuels, de même que l'ensemble de la population québécoise, semblent souffrir d'épuisement et souhaiter ne pas avoir à débattre davantage de cette question.

On pourrait facilement en déduire que la question nationale a fait son temps. C'est effectivement le cas dans la région du Canada que j'habite. On se fait dire de partout que le Canada, le Québec y compris, a subit un changement en profondeur et continue de se transformer en une société de plus en plus complexe et diversifiée. L'idée de " nation " aurait été supplantée par d'autres catégories sociales. Parallèlement, le phénomène de mondialisation et d'intégration économique aurait entraîné le Canada et le Québec dans des réseaux continentaux et internationaux. Le nationalisme serait, selon plusieurs, tombé en désuétude.

Malgré cela, et selon toutes les sources, des différences fondamentales dans l'identité primaire au Canada persistent. À l'extérieur du Québec, le sentiment d'être canadien d'abord est plus fort que jamais; au Québec, l'identité dominante est québécoise. À mon sens, la longévité de cet état de chose ne peut s'expliquer qu'en termes de différence des identités nationales. Que le mot " nation " soit utilisé ou qu'on lui substitue un autre terme, le concept qu'il reflète demeure la ligne de division la plus marquée au sein du tissu social canadien et le discours politique canadien continue de refléter cette réalité.

Donc, après tout ce qui s'est produit au cours des 15 dernières années, un Premier ministre canadien pouvait déclarer, il y a deux semaines à peine, que " le Québec est une société distincte. " Cette expression avait trouvé naissance, bien sûr, avec la Commission Laurendeau-Dunton. Il n'est d'ailleurs pas plus surprenant qu'un Premier ministre du Québec entièrement voué à la cause du fédéralisme déclare qu'un accord fédéral-provincial sur les soins de santé constitue " une journée importante dans l'histoire de notre peuple. " L'héritage de Jean Lesage est encore des plus présents.

Par ailleurs, les années 60 ont donné naissance à une ouverture et une flexibilité dans les relations fédérales-provinciales qui contrastaient radicalement avec le fédéralisme uniforme des années d'après-guerre. Certains politologues ont adopté l'expression " fédéralisme asymétrique " pour décrire cet état de chose et ont même avancé qu'elle était particulièrement pertinente pour une fédération marquée par des différences nationales. Qui d'entre nous aurait pu imaginer que cette expression figurerait dans le texte-même d'une entente fédérale-provinciale formelle ?

Quoiqu'il en soit, des critiques acerbes de cette tendance se sont fait entendre au cours des deux dernières semaines. Il semble que l'on peut s'attendre à un nouveau débat sur la nécessité d'un fédéralisme asymétrique ou uniforme, particulièrement quand il est question du Québec.

En fait, un tel débat porte davantage sur la nature et les buts du fédéralisme et du Canada en tant que tel. L'originalité du fédéralisme canadien réside dans le fait qu'il fut le premier à combiner deux principes qui s'opposent : la représentation géographique ou territoriale et la représentation d'intérêts culturels ou nationaux. Il existe encore bien peu de fédérations qui tentent de concilier ces deux principes. Presque toutes penchent dans un sens ou dans l'autre. La contradiction entre ces deux principes est à la source de ce qui anime la politique canadienne depuis ses débuts. Pendant un temps il semble que le principe territorial l'emporta. Il n'en demeure pas moins qu'on peut difficilement voir comment la fédération canadienne peut fonctionner efficacement ou même survivre, sans reconnaître la dimension culturelle ou nationale.

En d'autres termes, la question nationale continue de nous hanter. Nous sommes encore témoins de l'impact qu'exerce la division sociale clairement identifiée il y a si longtemps par la Commission Laurendeau-Dunton et les politicologues pionniers que nous allons honorer ce soir et demain.

Je vous remercie

 
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